Les Grandes Personnes Joseph ZOBEL vu par...
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«La pluie tombait à verse sur Singapour quand le téléphone a sonné ce matin-là.» Je me demande ce qu’il aurait pensé de cette phrase pour commencer cette histoire. La nouvelle du décès de celui que j’ai toujours appelé Monsieur ZOBEL interrompt une conversation qui a duré dix ans. «Les silhouettes de la raffinerie de Jurong étaient presque masquées par la pluie battante. Au beau milieu de la rumeur de l’eau montait le sentiment irrémédiable de son absence.» Les trois vies de Joseph ZOBEL Chaque homme est un mystère. Une énigme dont les indices sont éparts dans le tableau de son quotidien, que j’ai finalement si peu partagé. Quelques jours, toujours trop courts deux fois par an, depuis 1996. Sait-on que José HASSAM, l’écolier au regard triste et plein d’espoir, est avant tout un personnage de fiction? Que Man Tine, la grand-mère sévère et aimante à la fois, n’est pas morte dans sa cahute de la Rue Cases Nègres, mais a vécu assez longtemps pour voir la première bouchée de pain que son petit fils ait gagnée par son travail ? Joseph ZOBEL aura donc vécu trois vies, dont deux dans l’imaginaire du public. La première fut celle d’un héros de roman incarnant le désir d’ascension sociale d’une génération pariant sur la réussite scolaire. La seconde, créée par Euzhan PALCY et Gary CADENAT à l’écran, fut celle d’un enfant espiègle et charmant, à la voix claire et posée quand il explique que les roues d’un cabrouet, comme les oiseaux ou sa grand-mère quand elle fume une bonne pipe, peuvent parfois chanter. La troisième, réelle et empreinte du mystère de la réalité, fut celle de l’enfant naturel d’un chauffeur de maître et d’une employée de maison, élevé par sa grand-mère à Rivière Salée, bachelier puis répétiteur au Lycée Schoelcher, romancier, poète et producteur de radio au Sénégal, qui vient de mourir et sera enterré dans un petit village des Cévennes. La quête de la Beauté Sur le Certificat d’Etudes de Monsieur ZOBEL, qui reposait dans son bureau, encadré avec une photo de classe, près de son vieil ordinateur MacIntosh, la date de naissance calligraphiée disait «26 Avril 1915». C’était pendant la bataille des Dardanelles, dont les échos étouffés arrivaient, encore empreint de terreur, sur les rivages de la colonie. S’il fallait résumer en peu de mots la vie de l’enfant, qui pose sur cette vieille photo avec ses camarades, aux côtés de Monsieur Stéphen ROSE, l’instituteur de Petit Bourg, on pourrait dire : «Une vie en quête de Beauté». La beauté n’était guère dans l’univers plantationnaire et la misère abjecte de la rue Cases-Nègres. Joseph ZOBEL nous l’a pourtant fait voir, dans la solidarité entre ces hommes et femmes compagnons de misère. Dans la parole d’un vieil homme transmettant sa sagesse à un enfant. La beauté était dans les livres. Dans ce syllabaire LANGLOIS illustré pour lequel une pauvre malheureuse s’humiliait devant une boutiquière inflexible. Dans ces catalogues où s’alignaient les montres d’argent au cadran guilloché. Des catalogues gratuits que l’ont commandait en France, auprès des grands magasins, d’une lettre soigneusement calligraphiée pour obtenir, dans les cases misérables de Rivière Salée, un peu de lecture et de rêve. Peut-on seulement imaginer une telle faim de Beauté? Les nécessités de la vie, la naissance d’un auteur Jeune bachelier en 1936, Joseph ZOBEL se voit refuser une bourse pour étudier l’Architecture aux Beaux-arts. Il accepte alors un poste de secrétaire comptable à la subdivision des Ponts et Chaussées du Diamant. Cet emploi alimentaire est l’occasion d’une véritable rencontre avec les pêcheurs, humbles dont l’âme est aussi celle des gens de l’intérieur des terres. De la rencontre avec deux habitants du village, Géo et Cocotte, Joseph ZOBEL tirera plus tard un roman, «Les jours immobiles». A la rentrée 1937, recruté par Monsieur LOUIS-ACHILLE, son ancien professeur d’Anglais devenu proviseur du tout nouveau Lycée Schœlcher, Joseph ZOBEL est surveillant d’externat. C’est durant la Seconde Guerre Mondiale que, pour échapper à l’atmosphère oppressante du Vichysme tropical, ZOBEL écrit une série de nouvelles, publiées dans le journal «Le Sportif». Encore une fois, la quête de la Beauté, qui passe par un acte de création artistique. Aimé CESAIRE, Professeur de Français au Lycée Schœlcher engagé dans l’aventure de la Revue Tropiques, l’encourage dans son talent créatif et lui conseille d’écrire un roman. Ce sera «Diab’la», terminé en 1942 et auquel l’administration de l’Amiral ROBERT ne donnera pas l’imprimatur. Le romancier martiniquais En s’affranchissant du regard extérieur et de ce que l’on appellera plus tard doudouïsme, Joseph ZOBEL fera l’effort sublime de révéler la beauté de l’homme et de la femme martiniquais à travers l’idylle sans calculs de Diab’la et sa compagne, unis pour réussir leur projet de libération du système de la plantation. Cette quête de la beauté qui caractérisera l’œuvre littéraire de Joseph ZOBEL, on la retrouve à travers tous ses romans, qu’il a réécrits au fil des années pour présenter des textes plus épurés, débarrassés de leurs scories originelles. Génération «Colombie» Le journal de Joseph ZOBEL, publié en 1994, commence en Décembre 1946, sur le paquebot Colombie. Agé de trente et un an, père de trois enfants, il profitait alors d’un congé administratif pour rejoindre Paris et s’inscrire à la Sorbonne en Art Dramatique et en Ethnologie. Faim de beauté encore. Départ peut-être motivé par le suicide tragique du jeune Gouverneur PONTON, qui avait pris Joseph ZOBEL comme attaché de presse et lui avait confié la direction de deux publications culturelles, «Antilla» et «La Semaine Martiniquaise».
Il faudra un jour raconter l’histoire de cette génération «Colombie». Celle de ces Antillais nés au début du vingtième siècle et traversant l’Atlantique avec au cœur un rêve moins prosaïque que celui de la génération BUMIDOM. Pour Joseph ZOBEL comme pour Jenny ALPHA, Léon GONTRAN-DAMAS, Aimé CESAIRE, Frantz FANON, la France, aperçue à l’horizon depuis le pont du SS. Colombie, signifiait une bombance de savoir et de culture. Faim de Beauté, encore. Que dire du reste de la vie de Joseph ZOBEL? Paris, Fontainebleau, Dakar, Générargues. A chacune de ses étapes, la Beauté a été au rendez-vous. Beauté contemplée de l’Afrique révélée par le Sénégal, après que le désir de la découvrir ait été suscité par la rencontre de Léopold Sédar Senghor et d’Amadou Matar M’Bow. Beauté enfin de la terre des Cévennes et de ce petit vallon dont le relief épouse les rayons du soleil, en été, pour recréer une illusion de Martinique sauvage. C’est dans ce vallon, à deux pas de la ville d’Anduze, qui n’avait pas encore son éclat touristique, que Monsieur ZOBEL a rencontré des gens avec qui partager le Soleil. Les zinnias et le soleil partagé Peu après la mort de son fils Roland, emporté par une crise cardiaque le 28 Mars 2003, Monsieur ZOBEL avait formé le projet de planter des zinnias dans son jardin. Une jeune femme croisée sur le marché aux puces d’Anduze (il s’y rendait tous les dimanches matins) l’avait invité à passer à sa pépinière.
Sur place, nous avons presque rempli le coffre de sa petite voiture rouge de pots de plastique noir. Quant il a demandé combien il devait pour tous ces plants qui allaient refleurir son jardin un peu à l’abandon, la jeune femme a feint de s’énerver: «Oh! Mais je vous en prie!». Il était arrivé la même chose quelques années plus tôt, quand Monsieur ZOBEL s’était mis en tête de planter de la vigne. Pas question pour lui de payer les plants que lui offrait le pépiniériste. Il est encore de tradition en Martinique d’offrir aux membres de la famille, aux proches, des plants qui promettent des fleurs agréables ou des fruits succulents. Le jardin de Monsieur ZOBEL, autour de son Oustaou, la vieille bergerie qu’il avait achetée vers 1950 et qui était devenue une maison confortable, est un peu né de la même façon. Il portait le signe que le romancier martiniquais avait poussé de nouvelles racines en Cévennes. Dans cette terre rude et rocailleuse, pays de la soie, du fromage de chèvre et de la châtaigne. Terre de Soleil Partagé et de Beauté où il a choisi de reposer. © Alfred LARGANGE - Juin 2006
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