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Joseph ZOBEL, Homme de Lettres Martiniquais

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LIRE ET RELIRE
DIAB'-LA

Dia-la

La genèse de DIAB'-LA, premier roman de Joseph ZOBEL, a été révélée au public lors du Salon du Livre de Paris, en Mars 2002, lors d’une visioconférence faisant dialoguer Aimé CESAIRE et Joseph ZOBEL.
(voir l'émission "Espace Francophone" de Mona MAKKI consacrée à Joseph ZOBEL en 2003)

Répétiteur puis secrétaire au Lycée Schœlcher le jeune Joseph ZOBEL échappait à la pesante atmosphère vichyste de la Martinique de l’Amiral ROBERT en offrant au public des nouvelles et autres textes dans les colonnes du journal « Le Sportif ». Le public martiniquais répondait avec enthousiasme à un auteur qui enfin le décrivait dans sa vérité humaine, débarrassée des écrans de l’exotisme ou des palimpsestes de la littérature européenne.

Le combat culturel dans les colonnes du « Sportif »

Sous le couvert d’un divertissement innocent se cachait en fait un combat culturel de réappropriation de l’imaginaire et du regard martiniquais. Jamais avant ZOBEL les Martiniquais ne s’étaient reconnus dans un texte, à tel point qu’une anecdote veut que l'auteur ait été arrêté en pleine rue par une femme lui demandant à quel moment il était venu chez elle pour assister aux anecdotes qu’il avait relatées !

Le combat de ZOBEL ne pouvait échapper à Aimé CESAIRE, jeune agrégé engagé dans un combat de même nature, dans les colonnes de la Revue Tropiques. Les encouragements du brillantissime agrégé au juste bachelier poussèrent ce dernier à écrire son premier roman, « Diab’-la ». Il n’est pas étonnant que se mêlent dans ce roman fondateur les thèmes de la revendication sociale et culturelle, de la Négritude et le premier exemple significatif de la Créolité.

Un regard intérieur qui révolutionne les littératures d'Outre-Mer

En s’affranchissant du regard extérieur caractérisé par ce que l’on appellera plus tard «doudouïsme» (Monsieur ZOBEL exècrera toujours la préface mondaine de Georges PILLEMENT, érudit hispanisant qui préfaça le roman pour les Nouvelles Editions Latines), « Diab’-la »se révèle comme un l’effort sublime pour révéler la beauté de l’homme et de la femme martiniquais.

Dans les premières pages du roman, Diab’-la arrive dans le village du Diamant, fuyant, on l'apprendra un peu plus tard, l’enfer des champs de canne. A cet homme seul, qui refait sa vie, il faut des amis. Il s’en fait en demandant une « sèche » (cigarette) à un homme dont la tête lui revient. « Demain, ce sera mon tour » dit-il (page 23). Etablissement de relations de confiance, absence de calcul, d’égoïsme. La fraternité entre « l’autre » et « l’étranger », dont on ne sait pas encore qu’il s’appelle Diab’-la, est immédiate.

La confiance s’établit dans l’évidence du besoin de l’étranger, dans le fait qu’il admet sa vulnérabilité en tant qu’étranger qui arrive de l’intérieur des terres pour s’installer dans ce village de pêcheurs. En proposant un tel niveau de vérité entre les personnages martiniquais, Joseph ZOBEL rompt de façon décisive avec un regard extérieur qui ne voit dans les sujets coloniaux que des projections des vices et faiblesses des dominateurs (voir à propos de ce procédé l’essai « Playing in the Dark » de Toni MORRISON, où l’auteure analyse la polarisation raciale dans les romans américains classiques à travers le filtre des préjugés raciaux dévalorisant les Afro-américains et faisant d’eux l’antithèse des Anglo-Saxons). Dans cette reconquête du regard, d'ailleurs, Joseph ZOBEL est d'une modernité qui dépasse ses successeurs qui, avec des personnages dont l'authenticité est nourrie de vulgarité, reproduisent les clichés coloniaux (voir certains personnages Nègres dans "Le Nègre et l'Amiral" de Raphaël CONFIANT).

Une idylle d’une pureté absolue

« On a beau dire, cé une femme qui pilote un homme, cé une femme qui le mène à Dieu ou au tonnerre de Dieu » dit Diab’-la (page 27). L'homme vient d’arriver dans le pays, et il lui faut une femme. Et comme la cigarette qui a commencé la conversation, il la demande à son nouvel ami ! Dans cette anecdote, qui peut aujourd’hui sembler incongrue, se révèle un autre aspect du projet de Joseph ZOBEL, la promotion d’une pureté d’âme qu’il propose comme miroir aux Martiniquais. Le chapitre s’achève, les deux hommes se lèvent et sortent de « Les Sept Péchés Capitaux ».

Au chapitre suivant, une femme se réveille aux côtés du héros. On apprendra plus tard qu’elle s’appelle Fidéline, plus l’énoncé d’une vertu qu’un prénom. L’auteur l’appelera aussi, d’un bout à l’autre du roman, « la femme ». « Diab’-la », lui non plus, n’a pas de nom à proprement parler, seulement un surnom. ZOBEL le désignera aussi en écrivant « l'homme », créant une nouvelle Genèse sur une terre qui sera le Paradis que les protagonistes ensemenceront.

Les moments d’intimité entre les deux personnages sont empreints d’un érotisme que l’on n’a plus revu dans la littérature caribéenne. Fascination pour la beauté et la force des corps, célébration du réconfort et de la chaleur de l’autre. Joseph ZOBEL accomplit l’exploit d’un érotisme à la fois pudique et essentiel.

La question de l'érotisme, dans la littérature caribéenne, est chargée de tous les enjeux du regard extérieur qui, empreint de la domination colonialiste, dépouille les personnages de leur humanité en les drapant d'un exotisme lubrique. Deux exemples d'un érotisme touchant au sublime proposé par ZOBEL viennent d'Haïti. D'abord le couple de légende formé par Manuel et Annaïse, dans « Gouverneurs de la Rosée », de Jacques ROUMAIN. Là aussi, absence de tout calcul et de tout égoïsme, érotisme absolu de l’union des deux personnages, au bord de la source qui va sauver le village rongé par la misère et la sécheresse (union dont naîtra un enfant qui fera dire à Annaïse que Manuel n’est pas réellement mort, malgré son assassinat). L'autre couple est celui des protagonistes de « L'espace d'un cillement », dernier roman de Jacques Stephen ALEXIS. Le projet de libération de l'homme et de la femme Caribéens est prolongé par ALEXIS en ce que le personnage de Caoutchouc refuse tout égoïsme facile (il se trouve tout de même dans une maison de passe) et tente d'arracher la Niña Estrellita de l'exploitation sexuelle qui la déhumanise.

Un projet libérateur

Le parallèle entre « Diab’-la », achevé en 1942 et « Gouverneur de la Rosée », que Jacques ROUMAIN (dont on fêtera en 2007 le centenaire) termine à Mexico en Juillet 1944, dépasse le niveau de l’idylle. Les deux romans sont l’histoire d’un homme se libérant de l’oppression représentée par les champs de cannes. Ceux de l’intérieur des terres de Martinique pour Diab’-la ou ceux de Cuba, ou Manuel est parti chercher fortune comme bracero.

Alors que Manuel se bat et meurt pour apporter à son village l’eau d’une source cachée dans un bois proche, destin christique qui s’accorde paradoxalement au marxisme de Jacques ROUMAIN, Diab’-la, lui, compte d’abord sur sa force et ses connaissances. Il parviendra cependant à mobiliser les pêcheurs pour une journée de travail collectif qui les changera du travail de la mer. Malgré le côté ludique de l'expérience, il y a là fondamentalement une coumbite qui établit un lien fraternel avec le roman haïtien.

Dans les deux cas, il s’agit d’opposer l’autosuffisance de l’agriculture vivrière à l’exploitation capitaliste du système plantationnaire. L’argent, d’ailleurs, Diab’-la n’en a cure : il en garde dans son livret militaire, pas dans son cœur, éventuellement pour donner un coup de main à un ami dans le besoin.

 Le texte fondateur de la Créolité

- Tu as de la famille ici ?
- Non.
- De quel côté tu viens ?
- Gens Morne Vent. »
(page 23)

- Vous allez travailler ici ? entama Ti-Do, un peu maladroitement.
- Je pense, répondit-il.
- A l’habitation, sans doute ?
L’homme parut violemment vexé :
- Encore ? s’écria-t-il. Mais j’ai échoué ici pour fuir ça ! … Messieurs, on dit y a pas de sot métier mais de métier de sots ; eh bé, je vous assure que ça, dans les conditions les békés vous flanquent dedans, cé plus raide que la mort, cé plus raide que si on vous taillait le dos à coup de cravache de lundi à samedi soir ! »
(pages 32 et 33)

« Gens Morne Vent », « Plus raide que la mort », les expressions sont directement transposées du Créole dans un français qui forme le projet de faire entendre le parler du peuple martiniquais. Mais la créolité du texte, puisqu’il faut bien oser le terme, ne s’arrête pas à des emprunts qui pourraient être régionalistes.

« C’était bon, ce punch-là, sur la table sordide […] Nous écoutions chanter la mer tout près.

[…]

Il ne s’agit pas de dormir, ni d’avoir peur, ni de rester muets.
Alors je commence.
- Cric !
- Crac ! … »
(Pages 11 et 12)

Le procédé utilisé par Joseph ZOBEL pour amorcer son premier roman emprunte au ton de la conversation avec le lecteur, et à l’interactivité des conteurs créoles. S’il faut oser un autre terme, c’est celui d’oraliture, synthèse originale de littérature et d’oralité qui a fondé le projet de la Créolité presque cinquante ans plus tard. Le même type de procédés a valu le refus des éditions ALBIN MICHEL pour la publication de « Rue Cases Nègres » en 1950. Joseph ZOBEL décida alors de rester fidèle à son texte, malgré l'intervention amicale de René MARAN.

La Négritude

Dans tout roman créole, il y a un érudit. Procédé qui permet à l'auteur d'ntroduire des concepts intellectuels et des références culturelles hors de portée du milieu social dans lequel évoluent les personnages. Dans « Texaco », Patrick CHAMOISEAU fait en sorte que Marie-Sophie Laborieux a lu LAUTREAMONT dans la bibliothèque d’une famille bourgeoise de la Route de Balata. Dans « Le Nègre et l'Amiral », Raphaël CONFIANT introduit le personnage d'un instituteur d'extraction populaire, surdoué dans son enfance et féru de littérature française. Pour Diab’-la, le personnage de Capitain’-la, un marin anglophone à la retraite installé au Diamant, joue le rôle d’une fenêtre sur le monde, sur la condition des Nègres sur d’autres latitudes, formant les prémices d’une conscience panafricaine.

- Mais il y a des choses que vous ne connaissez pas, interrompt Capitain’-la, c’est que les nègres sont dans le monde entier et que tout ce qu’ils ont donné, ils l’auront d’une manière ou d’une autre. C’est comme si le monde entier faisait la queue, et le nègre avance. Le peuple monte et l’entraîne.
- Alors, dit Diab’-la, il est temps de s’aimer bien fort pour ne pas mollir.
- Moi, je dis pour ne pas trahir.
- Cé la même chose ! »
(pages 124 et 125)

Discours politique et vulgarisation se mêlent dans cette conversation entre deux hommes de niveau culturel différent, mais partageant les mêmes convictions. La condition Nègre, dans cette conversation profonde malgré les procédés reconstruisant le pauvre vocabulaire de Diab’-la, est embrassée dans une perspective de progrès qui préfigure les évolutions de l’après-guerre. Rien d’étonnant à ce que la censure de l’Amiral ROBERT, sans doute déjà informée de l’amitié liant Joseph ZOBEL et Aimé CESAIRE, a refusé son imprimatur à un texte qui apparaît, dans le contexte vichyste de 1942, comme courageux..

LE romancier martiniquais

« Joseph ZOBEL, c’est LE romancier martiniquais  » avait lancé Aimé CESAIRE en Mars 2002, lors d'une visioconférence au cours du Salon du Livre.

Au-delà de l’hommage à un ami de longue date, ou peut croire que l’avis du Nègre Fondamental embrassait aussi ce premier roman né de leur amitié. Une œuvre qui dès 1942 englobait les principaux enjeux que la littérature martiniquaise aurait à embrasser pendant les décennies suivantes.

© Alfred LARGANGE - Juin 2006

 

NOTE: Lire aussi le texte de Francesca PALLI sur Diab'La.

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